[OPINION] Une radio communautaire francophone en implantation à l’Île-du-Prince-Édouard vient d’essuyer un refus de financement de la province. Les raisons invoquées sont si déconcertantes que j’hésite entre l’indignation et l’incrédulité.

Une menace… qui n’en est pas une

La situation a été portée à notre attention par M. Gallant, de l’Alliance pour le développement durable de l’Île-du-Prince-Édouard.

Il s’agit d’une organisation qui promeut le développement économique et social des communautés acadiennes et francophones de l’île, principalement en facilitant l’émergence de projets mobilisateurs.

Le gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard vient de refuser de soutenir financièrement la création d’une radio communautaire de langue française dans la province.

Pourquoi ?

On justifie ce refus en affirmant que « (…) cette initiative pourrait involontairement concurrencer [des] entreprises privées établies » et, qu’en plus, « Radio-Canada offre un service similaire aux communautés francophones. »

Ces explications soulèvent des questions pour le moins préoccupantes sur l’engagement du gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard envers la diversité médiatique, l’équité linguistique et le développement local.

Voyez plutôt la lettre qu’ils ont reçu :

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Des motifs sans queue ni tête

D’abord, le motif de l’initiative qui entrerait en compétition avec des radios privées existantes trahit une vision pour le moins réductrice du rôle des médias communautaires.

Une radio communautaire n’est pas une entreprise commerciale comme les autres. Il s’agit d’un outil de cohésion sociale.

C’est un espace où les citoyens peuvent prendre la parole ainsi qu’un vecteur de la culture locale, en plus, bien sûr, de jouer un rôle essentiel en matière de développement durable.

Nos radios communautaires ne cherchent pas à « concurrencer des entreprises privés », mais plutôt à combler un vide linguistique et culturel.

Ces radios communautaires, particulièrement en situation de minorité linguistique comme les nôtres, cherchent à donner une voix à ceux et celles qui n’en ont pas. En l’occurrence la communauté acadienne et francophone dans ce cas-ci.

Quant à l’argument selon lequel Radio-Canada offre déjà un service en français dans la province, on ne peut pas affirmer qu’il est faux mais il mérite à tout le moins d’être nuancé.

Radio-Canada joue un rôle essentiel, certes. Rien à redire là-dessus.

Sauf que son mandat national ne peut répondre pleinement aux besoins spécifiques des francophones de l’Île-du-Prince-Édouard. Comme nulle part au pays d’ailleurs.

À combien de reprises avons-nous d’ailleurs entendu, de la part des dirigeants de Radio-Canada eux-mêmes, que nos radios et celles de la société d’État n’étaient pas en compétition ? Honnêtement, j’ai cessé de compter depuis longtemps.

Affirmer que les besoins des francophones en matière d’information et de divertissement dans leur langue n’ont pas besoin d’être comblés autrement, sous prétexte que Radio-Canada est présent, serait comme d’affirmer que la seule présence de la bibliothèque nationale suffit à nourrir la vie culturelle de tous les villages du pays.

 

Un message décourageant aux Acadiens et locuteurs francophones

Une radio communautaire locale permettrait de refléter les réalités régionales, de valoriser les accents et les traditions propres à cette communauté, et de renforcer le sentiment d’appartenance.

Refuser de financer ce projet, c’est envoyer un message décourageant à ceux qui œuvrent pour la vitalité du français en milieu minoritaire.

On ne parle pas ici de millions, mais plutôt d’une somme modeste — à peine quelques milliers de dollars — pour compléter un projet déjà soutenu par Patrimoine canadien.

Refuser ce financement, c’est priver une communauté d’un outil vital.

Il est aberrant qu’on ignore ainsi le droit de la communauté de langue officielle minoritaire à se doter de son propre outils de communication sous des motifs frivoles.

Le gouvernement provincial passe à côté d’une occasion d’aider la communauté linguistique minoritaire à devenir plus forte et résiliente, en la privant ainsi d’un financement somme tout assez minime dans le budget d’une province mais néanmoins très important pour une radio comme celle-ci.

Il est temps que nos gouvernements reconnaissent qu’une radio communautaire francophone, loin d’être une menace à l’égard des radios privées et de la société d’État, promet au contraire un dialogue plus riche entre la majorité et la minorité, une culture plus vivante, ainsi qu’une démocratie plus forte.

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