[OPINION] En coupant aux Canadiens l’accès aux nouvelles émanant de leurs médias, le géant des réseaux sociaux Meta a porté un gros coup de poignard non seulement dans le dos du secteur médiatique, mais également à nos concitoyens et la démocratie canadienne.
Une décision à la fois embêtante et ironique
C’est à la fois un peu embêtant et ironique comme décision.
Plusieurs de nos concitoyens étaient eux aussi, sans forcément s’en rendre compte, de grands consommateurs d’informations locales et régionales sur Facebook et Instagram.
Quasiment au même titre d’ailleurs que les plus fidèles lecteurs des journaux, mais, à la différence qu’ils ne le savaient pas, puisqu’ils ne fréquentaient qu’en de très rares occasions les sites web de ces médias.
N’empêche que les nouvelles, ou du moins les grands titres, ils les voyaient quand même passer.
Maintenant, ils ne les voient plus. Est-ce que ça les dérange ? Eux diront que non, mais voyons plutôt.
Parmi ceux et celles qui furent les premiers à applaudir la décision de Meta et à crier « bon débarras », plusieurs ne purent curieusement s’empêcher de se précipiter sur les pages Facebook et Instagram des médias canadiens afin d’y déverser leur fiel sur l’industrie médiatique dès lors que la décision est tombée. Ironique, dites-vous ?
C’est un peu comme si, à titre d’exemple, j’allais rendre visite à mon ancien voisin embêtant dont je serais trop heureux de m’être débarrassé après son déménagement. Ou c’est du masochisme, ou c’est de la stupidité.
Les médias, les témoins de notre milieu
Même s’ils ne furent jamais de grands fans des journaux, ni les plus fidèles téléspectateurs des bulletins télévisés, comment ces gens seront-ils désormais informés de nouvelles pourtant essentielles à l’exercice de la démocratie s’ils n’y sont plus exposés à travers les agrégateurs de nouvelles que constituaient pour eux Facebook et Instagram ?
Auront-ils ce réflexe qu’il n’avait déjà pas de toute façon d’aller rendre visite à leurs médias locaux et régionaux afin de s’informer ?
Peut-être que oui, mais peut-être pas non plus.
Pourtant, ces médias couvrent les événements et les faits divers de leur région. Qu’on songe aux crimes, aux accidents et incendies. Aux activités socio-récréatives. Ou encore aux rassemblements communautaires pour ne nommer que ceux-ci.
Ces mêmes médias suivent les développements politiques, y compris les élections et les décisions prises par les autorités locales, dont ils rapportent souvent les moindres détails.
On peut aussi les considérer comme les vitrines de l’économie locale. Car, ils fournissent nombre d’informations pertinentes sur l’ouverture de nouvelles entreprises, la fermeture de certaines autres, mais aussi les opportunités d’emploi et les investissements.
Il ne faudrait pas non plus oublier qu’en plus, nos médias agissent comme des courroies de transmission efficaces, tant pour les arts et la culture, que le divertissement et les sports à l’échelle locale et régionale.
Rares sont en effet les expositions, festivals, matchs sportifs, ainsi que les spectacles et autres événements du genre qui passent sous l’écran radar de nos médias locaux et qui ne bénéficient pas d’une certaine visibilité de la part de ceux-ci.
Bref, nos médias sont les témoins de notre milieu. On ne peut s’en priver.
Or, le coup de poignard que Meta vient de leur asséner pourrait être fatal pour plusieurs d’entre eux, et malheureusement bien souvent ceux qui sont le plus collés sur leur milieu.
Une décision lourde de conséquences
Quand la Chambre des communes a adopté le projet de loi C-18 au début de l’été, afin de contraindre les géants du web à négocier des accords avec les médias canadiens pour compenser la diffusion de leurs nouvelles, sans doute n’a-t-on pas songé aux dommages collatéraux d’un éventuel ressac.
Voilà ! Les menaces de représailles ont finalement été mises à exécution. Du moins par Meta.
Le geste entraînera des conséquences majeures. Non seulement pour les médias au Canada mais aussi pour nos concitoyens. Ne soyons pas dupes.
Les médias, déjà confrontés à de nombreux défis, subiront un impact significatif. Ils perdront une importante source de trafic et même certains revenus publicitaires qui y étaient associés.
Pas étonnant que certains d’entre eux aient d’ailleurs pressé le Bureau de la concurrence d’enquêter sur les pratiques déloyales de l’entreprise américaine.
Tandis que les citoyens, eux, perdent une fenêtre sur une pluralité de voix éditoriales et une diversité de sources journalistiques.
Le risque de cette réaction intempestive est qu’elle renforcera les bulles de filtrage et affaiblira la démocratie, en privant les citoyens d’une information à la fois équilibrée et diversifiée, n’en déplaise à certains qui préfèrent les chambres d’écho.
Pourquoi, en temps de pandémie, l’État a-t-il reconnu l’importance du journalisme et jugé essentiels les médias afin de disséminer les informations les plus critiques, mais qu’une fois devant un mur comme celui-là, ne faisons-nous encore rien pour abattre ce mur que Meta vient de dresser devant eux ?
Les médias jouent un rôle crucial. Ils surveillent en outre le pouvoir politique. Ils informent les citoyens et encouragent le débat public.
Sans un journalisme indépendant et robuste, la démocratie est affaiblie.
Plus que jamais, il est donc impératif que des actions soient prises de part et d’autre afin de redonner aux citoyens canadiens l’information à laquelle ils doivent avoir accès.
Il ne s’agit plus d’une question de choix; ce sont des principes fondamentaux de toute démocratie. Bénéficier d’un maximum de voix et d’opinions.
Qu’importe la façon dont ils s’y prendront, s’ils sont un tant soit peu sérieux lorsqu’ils affirment contribuer à la lutte contre la désinformation, les géants du web comme Meta et Alphabet doivent reconnaître la valeur du journalisme canadien et contribuer équitablement à son financement.
Comment ? Combien ? Laissons-les discuter entre eux et le gouvernement qui a accouché de cette loi.
Une chose est certaine, Meta a les moyens de payer. Le géant des réseaux sociaux a engrangé par moins de 32 G$ de revenus rien qu’au second trimestre de l’année. Une hausse de 11 % sur un an, duquel il a pu dégager 7,8 G$ de bénéfice net (+16 %), comme l’expliquait La Presse en juillet dernier.
Il est essentiel par contre que les gouvernements, les régulateurs et les citoyens agissent, en même temps que les géants du web doivent mettre eux-mêmes de l’eau dans leur vin.
Ne plions surtout pas. Continuons de mettre en place des réglementations solides afin de garantir un équilibre entre les plateformes numériques et les médias traditionnels. D’autres États du globe sont eux aussi en train d’échafauder de telles mesures.
Veillons ensuite à ce que ces plateformes respectent les lois en vigueur et contribuent équitablement au financement du journalisme.
Et nous, comme citoyens, soutenons les médias locaux et indépendants. Adhérons à des journaux et appuyons les initiatives de journalisme de qualité.
C’est ainsi que nous réussirons tous ensemble à préserver une presse libre et démocratique.