[OPINION] Les plateformes de microblogage, particulièrement X (anciennement Twitter), sont aux prises avec un certain déclin de popularité pour diverses raisons. Deux plateformes encore relativement récentes, Mastodon et Bluesky pourraient-ils révolutionner les médias sociaux ?
La crise du microblogage
Perte de confiance des annonceurs. Encadrement déficient des contenus. Présence de plus en plus grandissante des trolls et des fraudeurs. Controverse quant à la propriété. Etc.
Les plateformes de microblogage perdent de leur lustre depuis quelque temps, plombées par une multitude de problèmes récurrents.
Avant que les fans de X débarquent en masse et ne paniquent, je parle de leur réseau chéri mais n’oublions pas que ça ne va pas très bien non plus pour Tumblr ces dernières années.
Même Threads, qui a connu un départ fulgurant l’été dernier, peinait quelques mois plus tard à retenir les abonnés.
Mais serions-nous au seuil d’une nouvelle ère avec l’émergence de Mastodon et Bluesky ?
Hum ! Peut-être que oui. Ou peut-être pas.
Le secret est-il dans l’interopérabilité ?
Dans plusieurs discussions en ligne, en voici d’ailleurs un exemple parmi d’autres, certains utilisateurs affirment que Mastodon et Bluesky devraient carrément travailler de pair afin de favoriser l’interopérabilité des deux systèmes.
On argumente en outre qu’il pourrait s’agir d’une façon de s’affranchir encore davantage du corporatisme. Donner davantage de liberté aux utilisateurs. Marquer un nouveau tournant dans l’ère des médias sociaux. Etc.
En un mot comme en mille, permettre aux utilisateurs de choisir la plateforme qui leur sied le mieux, mais tout en ayant la chance de converser avec des utilisateurs d’autres plateformes.
Il existe d’ailleurs en ce moment une sorte de pont (un ‘bridge’) qui permet d’utiliser notre application préférée pour Mastodon avec Bluesky.
C’est un petit pas, bien sûr. Et ça n’a encore rien à voir avec les échanges que l’on pourrait faire entre les deux plateformes. Cela dit, ça démontre quand même la volonté de certaines personnes de rapprocher les deux réseaux.
Si les raisons et la volonté ne manquent pas, la faisabilité est-elle au rendez-vous ?
Une opération quand même plus complexe qu’elle n’y paraît
L’idée n’est pas dénuée d’intérêt. Par contre, il s’agit d’une opération beaucoup plus complexe qu’elle n’y paraît, et pas forcément pour des raisons toutes d’ordre technique.
Chez les plus avant-gardistes, on rêve déjà au jour où l’on pourra publier un message sur une plateforme (Mastodon) et pouvoir y réagir et répondre à partir d’une autre distincte (Bluesky). Et pourquoi pas ?
Il faut toutefois plonger dans les deux réseaux afin de jauger l’interopérabilité possible de Mastodon et de Bluesky. Pas tant sur les aspects technologiques, mais en examinant plutôt la culture et la base d’utilisateurs des deux réseaux.
Ils sont, ma foi, assez distincts comme vous le verrez.
MASTODON : la décentralisation et la liberté
Derrière Mastodon, un grand principe : décentraliser les données, et, du même coup, se libérer de l’emprise d’une entreprise ou d’un organisme.
Chaque utilisateur peut héberger son propre serveur (couramment appelé une instance) et décider qui peut voir et réagir à ses publications.
C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles Mastodon a connu une telle croissance de ses utilisateurs dès qu’Elon Musk a mis la main sur X. Plusieurs rescapés ont saisi l’opportunité de se trouver un nouvel espace où s’exprimer plus librement.
D’autant plus que, même en n’installant pas eux-mêmes leur propre serveur, il leur était tout à fait possible de joindre le serveur d’une organisation ou d’une personne partageant leurs valeurs.
Un Eldorado pour les désabusés.
Pour l’heure, une grande proportion, disons même une très grande proportion des utilisateurs de Mastodon sont des hommes. Souvent issus de la communauté geek.
Il n’y a évidemment pas que ça, mais ils sont très nombreux.
Selon de récentes statistiques, le ratio serait d’à peu près 72 % d’hommes pour 28 % de femmes.
Mais outre les geeks, on trouve sur Mastodon des créateurs de contenus, des artistes et des utilisateurs de divers horizons, dont plusieurs issus du monde de l’éducation et de la science.
Bref, si l’on devait conclure sur Mastodon, disons qu’il serait sans doute plus juste de parler d’une forme de « contre-culture » plutôt que d’une culture.
Ce n’est d’ailleurs sans doute pas pour rien que le réseau ne semble pas tant coller chez monsieur et madame Tout-le-Monde.
BLUESKY : l’innovation avec un brin de je-m’en-foutisme
Bluesky, est-il nécessaire de le rappeler, a vu le jour sous l’aile protectrice de Twitter.
Depuis, le papillon vole de ses propres ailes. L’interface a beau rappeler encore curieusement celle de son désormais célèbre rival. Les deux réseaux sont distincts.
Il faut savoir que Bluesky n’a pas été créé dans le dessein de devenir un énième réseau social. Pas plus qu’il ne se destinait d’ailleurs à l’interopérabilité. Ou du moins pas aux interactions au sens où certains l’entendent.
En fait, la promesse originale était de permettre la portabilité des comptes grâce au protocole AT, puis d’établir un système qui serait à la fois robuste et évolutif.
Donc, pas tant porté sur l’interopérabilité avec d’autres protocoles ou d’autres réseaux, comme se plaisent à en rêver certains, mais avec le but de préserver des performances à grande échelle.
Ainsi, s’ils le souhaitent, les utilisateurs pourraient éventuellement prendre leurs données et les transférer sous d’autres cieux où, croient-ils, le soleil brille davantage.
Facilement. Rapidement. Sans problème.
C’est sans doute un peu la raison pour laquelle relativement peu d’utilisateurs de Bluesky ont semblé s’émouvoir lorsqu’on a annoncé récemment que n’importe qui allait désormais pouvoir opérer son propre serveur Bluesky.
Ce je-m’en-foutisme affiché par la grande majorité des utilisateurs a même, oserais-je écrire, presque dégonflé la balloune.
Pourquoi ? Parce qu’au contraire de Mastodon, une vaste majorité des utilisateurs de Bluesky n’y sont pas tant dans l’espoir d’opérer leur propre mini réseau social, quoique l’idée puisse séduire, mais plutôt simplement d’échanger sans se prendre la tête. Point à la ligne.
Ça serait Pierre, Jean ou Jacques qui opère le réseau. Tant qu’ils y ont du plaisir, ça fait leur bonheur. Bref, ce qu’ils ne trouvaient simplement pas (ou plus) dans le défunt Twitter.
Pour résumer, disons que l’idée de l’interopérabilité entre Mastodon et Bluesky semble séduire… mais à sens unique.
C’est comme si le gars, Mastodon, faisait les yeux doux à la fille, Bluesky, qui s’en foutait carrément.
L’idée en elle-même n’est pas mauvaise
Soyons honnêtes. L’idée en elle-même n’est pas mauvaise. Loin de là.
Il s’agirait d’une avancée majeure dans le monde des réseaux sociaux. Jusque-là très fermés et pratiquement imperméables les uns aux autres. Mastodon et Bluesky y changeront-ils le portrait ?
L’idée est même si peu mauvaise qu’elle ne serait pas nouvelle, en fait.
Rappelons que le courrier électronique, à titre d’exemple, opère précisément (ou presque) sur un principe d’interopérabilité entre différents systèmes, et ce, depuis ses débuts.
Un principe à peu près similaire d’échange de messages entre utilisateurs de plateformes distinctes.
En utilisant simplement des protocoles communs. Comme le POP3, l’IMAP, le SMTP, etc.
Bref, qu’on utilise un serveur équipé d’Apache James tournant sous Linux, ou encore MDaemon fonctionnant sous Windows, pourvu qu’ils utilisent les mêmes standards d’envoi et de réception des courriels, tout le monde peut correspondre. On peut même utiliser n’importe quel logiciel de courriel et ça fonctionne.
Ce ne serait donc pas complètement impossible, ni même farfelu de reproduire le principe avec les médias sociaux. Surtout pas avec des réseaux encore émergents comme Mastodon et Bluesky, qui sont encore relativement facile à modeler compte tenu de leur jeunesse.
Mais pour l’heure, il est difficile de croire à l’interopérabilité prochaine entre Mastodon et Bluesky. Quoiqu’elle serait intéressante, je le rappelle.
Il reste à voir si les génies derrière ActivityPub, le standard sous lequel opère en outre le réseau social Mastodon, et, de l’autre côté, ceux derrière AT Protocol qu’utilise le réseau Bluesky, seront pressés d’accélérer les démarches en ce sens.
S’il n’en tient qu’aux utilisateurs de Bluesky en tout cas, ce n’est pas exactement ce que j’appellerais une priorité chez la très vaste majorité d’entre eux. Disons que le flirt semble à sens unique.
En résumé
On voit que les promesses portées par Mastodon et Bluesky sont enthousiasmantes.
Deux acteurs sont en train de redéfinir les contours des médias sociaux avec une approche de décentralisation et, peut-être un jour, d’interopérabilité entre deux protocoles en pleine ascension (ActivityPub et AT Protocol).
Certains usagers sont à ce point encouragés, qu’ils espèrent assister et même participer à cette révolution dans l’univers numérique.
Mais beaucoup d’autres semblent plus froids. Même presque de glace devant ces idées.
Au-delà des défis que posent l’interopérabilité technologique, il y a, comme on l’a vu, toute la question de l’homogénéité et de l’autonomie des utilisateurs à considérer.
Tous les réseaux sociaux ont leur public cible. Leur style de contenus. Leur mode de fonctionnement.
Arrimer les uns aux autres sans créer de friction ne sera pas une mince tâche.
Il fallait d’ailleurs lire la réaction consternée de plusieurs utilisateurs de Bluesky, lorsqu’ils apprirent en janvier dernier que l’accès au réseau allait désormais être public et qu’il ne fallait plus disposer d’un code d’invitation.
Craignant soudainement l’arrivée massive d’utilisateurs malveillants et la fin de l’atmosphère plutôt paisible dont ils jouissaient jusque-là, le désespoir se lisait chez plusieurs d’entre eux.
Alors, dans l’attente de cette future interopérabilité qui pourrait devenir la norme dans les réseaux sociaux, il appartient désormais aux utilisateurs, aux développeurs et aux penseurs d’alimenter le débat.
Le principe n’est pas mauvais, certes. Mais comment l’appliquera-t-on et jusqu’où irons-nous ?
On doit, en tout cas selon moi, réfléchir à la meilleure manière de faire croître cet écosystème numérique, qui déborde de potentiel et d’innovations.
Toutefois, il ne faut pas oublier qu’au-delà de toutes les considérations techniques et financières dans la création d’un réseau social, il y en a un qui passe devant les autres : l’humain.
Et dieu sait que l’humain peut être quelquefois difficile à faire bouger quand ça ne lui tente pas.
Quesse tu connait dans Twitter toi le smatte?