[OPINION] Faut-il laisser l’intelligence artificielle (IA) s’accaparer de la 1ère place de votre palmarès au lieu d’un humain? Cette question, il faudra tôt ou tard y réfléchir. Puisque la révolution est bel et bien enclenchée.
Ingérer, digérer puis recracher
De toutes les disciplines artistiques, la musique a toujours été l’un des secteurs de création les plus féconds et les plus expressifs de l’humanité. Depuis des millénaires, on s’en sert pour partager les émotions, raconter des histoires, susciter la réflexion.
Aujourd’hui, les choses pourraient bien changer avec l’avènement de l’intelligence artificielle (IA).
C’est même déjà chose faite. Ou presque, on s’entend là-dessus.
L’IA est capable d’analyser des styles musicaux, de générer de la musique sur la base de données existantes, puis de composer des mélodies afin d’accompagner des chanteurs, voire produire de nouvelles sonorités.
Or, ce qu’on a tendance à oublier, c’est que l’IA ne crée rien à proprement parler. Elle ne fait que remixer et recréer.
D’accord, elle donne l’impression de créer. Mais, tout n’est que l’ingestion, puis la digestion de milliards d’informations existantes qu’elle recrache en de nouvelles créations.
Parce qu’elle n’est pas elle-même dotée de la faculté de réfléchir au même titre que l’humain. Elle n’est, à toutes fins utiles, qu’une simple émoticône qui recopie nos émotions. Point.
Elle ne connaîtra pas une peine d’amour capable de lui inspirer une chanson triste témoignant d’une rupture amoureuse. Pas plus qu’elle ne s’émerveillera d’un coucher de soleil pour créer une chanson joyeuse.
Tout au plus réussira-t-elle à analyser les données et reproduire ce qu’elle a déjà lu et entendu à propos de l’amour et la beauté d’un coucher de soleil. Quelque chose d’assez distinct pour nous donner l’impression qu’elle crée. Tout simplement.
Comment l’IA génère-t-elle de la musique plus précisément ?
Les avancées extraordinaires en apprentissage automatique et en génération de contenu permettent à l’IA d’accoucher aujourd’hui (oui, pardonnez l’expression) d’œuvres musicales qui semblent à la fois originales et distinctes.
Ironiquement, elles sont même parfois indiscernables de celles des humains.
L’IA acquiert de l’information sur la base des données existantes, en plus d’apprendre elle-même des contenus qu’elle génère ensuite.
Ainsi, grâce aux réseaux neuronaux artificiels inspirés du fonctionnement du cerveau humain, l’IA apprend, et apprend, et apprend encore.
En lui fournissant des données musicales, comme des partitions ou des enregistrements musicaux, les réseaux neuronaux artificiels acquièrent les règles et les caractéristiques de la musique, ce qui permet à l’IA de les reproduire puis de les modifier.
Parmi les exemples les plus probants, le projet Magenta de Google utilise justement des réseaux neuronaux artificiels pour générer de la musique dans différents styles, comme le jazz, le rock ou la musique classique.
Un débat à la fois éthique et moral auquel réfléchir
Peut-être n’en êtes-vous pas conscient, mais le No. 1 de votre palmarès de cette semaine a peut-être été écrit et composé par une intelligence artificielle. Sinon en totalité, du moins en grande partie. Sans même que vous ne vous en rendiez compte.
C’est maintenant qu’il faut commencer à nous interroger sur la pertinence de mettre en compétition dans votre palmarès, les œuvres musicales créées de toute pièce par des humains, avec celles produites par l’intelligence artificielle sur la base d’informations existantes puisées à gauche et à droite.
La question semble peut-être anecdotique et grossièrement exagérée. Mais, elle n’en est pas moins intéressante. Car, ne vous y trompez pas. Ça viendra tôt ou tard.
Certes, l’IA créatrice de musique présente plusieurs avantages, tant pour les musiciens que pour les diffuseurs. Sauf qu’elle a aussi plusieurs désavantages.
Pour les créateurs de musique, elle peut stimuler leur créativité. En leur offrant de nouvelles sources d’inspiration, de nouveaux outils et de nouvelles collaborations.
Pour peu, évidemment, que les créateurs aient suffisamment d’éthique et de morale pour ne pas se contenter d’avaler tout cru ce que l’IA leur régurgite, et qu’ils s’en servent plutôt comme d’une source d’inspiration et un modèle pour créer eux-mêmes à leur tour.
Pour les diffuseurs, elle peut faciliter l’accès à la musique, en permettant de créer et de partager facilement du contenu musical personnalisé. Un atout précieux en création publicitaire, par exemple. Alors qu’il est désormais possible d’obtenir des trames musicales pour accompagner parfaitement les productions publicitaires.
Mais d’un autre côté, l’IA pose aussi des problèmes, ou disons des questions à la fois éthiques, juridiques et morales.
Qui est le véritable auteur d’une œuvre musicale générée par l’IA ? Est-ce la personne qui a composé la ou les œuvres dont elle s’est inspirée ? Ou plutôt la personne qui a préparé une commande suffisamment précise afin de générer une nouvelle pièce musicale qu’elle aura commercialisée ?
Comment protégera-t-on les droits d’auteur et allons-nous rémunérer les créateurs ?
Quelle est la valeur artistique d’une musique produite par une machine ? L’IA peut-elle remplacer l’émotion et l’intention humaines ?
Bref, tant de défis et de questions éthiques et morales qui nécessitent une réflexion collective et une régulation adaptée.
Commençons à y réfléchir individuellement à défaut de collectivement
Le milieu radiophonique n’en est sans doute pas encore là dans sa réflexion collective.
Toutefois, nous pouvons (ou plutôt nous devons) y songer individuellement et entre collègues dans nos stations respectives.
Faut-il laisser la première place de votre palmarès à une intelligence artificielle plutôt qu’à un humain ?
L’IA ouvre certainement de nouvelles perspectives musicales, tout en s’inspirant de la richesse et de la diversité des créations humaines.
Alors que les humains, eux-mêmes, bénéficient des avancées technologiques, tout en préservant voire en améliorant leur créativité.
Tant et aussi longtemps qu’on verra les deux comme des compléments plutôt que des opposées, ça pourra fonctionner.
Pour l’heure, il ne semble pas y avoir de problème. Mais, le jour où l’on commencera à tasser une création 100 % humaine même plutôt ordinaire au profit d’une œuvre parfaite créée à 100 % par l’intelligence artificielle, je crois qu’on aura commencé l’assassinat de la création musicale.
Car, l’intelligence artificielle et les créateurs de musique se nourrissent pour ainsi dire mutuellement.
Il serait donc bien malvenu de « tasser » les seconds pour ne garder que la première. Pensons-y dès aujourd’hui.